THESE

Shantala Lescot,

Laboratoire CLARE / bureau de recherche ARTES EA 4593

Thèse soutenu en octobre 2017



Création contemporaine et Territoire ; Résidences d’artistes et Génie du lieu : Contextes, Modalités, Valeurs

Sous la direction de Hélène-Saule Sorbé



En étudiant les résidences d’artistes sous l’angle de leur impact social et territorial, au travers d’un nouveau regard porté sur la création in situ, nous cherchons à saisir comment les politiques culturelles favorisent les nouvelles pratiques artistiques, voire évoluent avec elles en prenant en compte le lieu. C’est bien parce que les concepts d’« artistes en résidence » et de « résidence d’artistes » ne convoquent pas de la même manière les notions de lieu et de contexte paysager, que nous avons décidé, dans une première partie, d’examiner plus avant le phénomène des résidences, les contextes, les modalités et les valeurs qu’elles défendent. C’est également parce qu’elles ont des attentes ou qu’elles pensent que l’art peut réussir là où le politique ordinaire n’est pas ou plus opératoire, qu’elles ont été multiplié sur le territoire français, notamment en milieu rural. Nous mettons dès lors en valeur, l’importance de la situation géographique de la résidence, au cœur d’un terroir spécifique, tant pour la création que pour la vie sociale, afin de défendre l’idée que la présence d’un artiste peut révéler des qualités voire des potentialités latentes. Ce dernier peut être un marqueur d’identité, renvoyant une image insoupçonnée des lieux et des liens qu’entretiennent avec leurs territoires les populations et les acteurs culturels locaux, ainsi que ponctuellement les créateurs en résidence. 

Si comme nous le démontrons, les artistes en résidence sont des acteurs importants du développement culturel en milieu rural et participent de la vie et d’une visibilité du territoire, ce dernier, réciproquement, par ses caractéristiques, doit pouvoir s’offrir comme une composante stimulante au profit de la création. Dans quelle mesure ? Si ces données sont communes à chaque région, chacune possède un contexte et une histoire qui lui est propre. Ces réflexions sur l’identité territoriale sont donc au cœur de la problématique qui anime la seconde partie de cette thèse, visant à examiner le lien entre résidence et territoire. La découverte du site s’impose comme un moment privilégié en amont de la conception de l’œuvre. Du temps de surprise et de reconnaissance peuvent jaillir la compréhension des qualités du lieu et l'infléchissement de la démarche de création, c’est-à-dire leur appropriation. Il s'agit bien là de confronter l'artiste à un nouveau contexte.


    Au terme de cette seconde partie, nous retenons le constat que la pratique de la résidence c'est avant tout «habiter ailleurs », c'est vivre un quelque part, hors de chez soi, c'est une rupture d'avec l'ordinaire, au bénéfice d'un déplacement. Ce nomadisme implique un autre rapport à l'espace, au temps et à la matière. C'est, pour l'artiste invité, un défi : celui de prendre possession du lieu, à sa manière et à la mesure de ses moyens artistiques – voire de leur dépassement. Cette aventure met fatalement à l'épreuve son identité singulière puisque, et nous rejoignons par là Christian Norberg-Schulz, « L'identité de l'homme présuppose l'identité du lieu. [...] L'identification est la base du sentiment humain d'appartenance à un lieu ».

L'immersion paysagère amène donc à repenser la pratique artistique dans et à partir des relations qu'elle noue avec le territoire, l'humanité et le milieu naturel. Nous avons cherché à étudier l’évolution du rapport de l’artiste au paysage et à l’espace, tout au long de sa « trajectoire migratoire » et des territoires habités. Cela nous aura permis de comprendre l’effet que peut avoir l’expérience de la mobilité dans la création artistique et dans le sentiment d’appartenance au lieu. Et cela soulève de nouvelles questions : S'agit-il de regarder autrement les vibrations d'un territoire spécifique et d'en dégager l'aura ? Ou s'agit-il plus simplement de donner une nouvelle définition à notre regard ?

Nous défendons de ce fait, en dernière partie, l'idée que vivre dans un lieu c'est appartenir au lieu et vivre en familiarité avec les composantes naturelles et physiques de ce lieu. Ainsi, nous pouvons prendre nos distances vis à vis des définitions classiques données au paysage pour se rapprocher de celle devenue pour les esthéticiens, les théoriciens de l’art et les artistes contemporains une entité vivante et stimulante à partir de laquelle se dégage une nouvelle manière de voir et d’imaginer le monde. Ainsi se révèle le Génie du lieu, qui semble être plus dynamique et complice de l'activité créatrice. C’est au travers de l’étude des pratiques artistiques d’un certain nombres d’artistes sélectionnés que nous poursuivons et terminons cette thèse pour montrer et mettre en valeur que le paysage se construit au travers du filtre cultivé de notre propre regard, soit de notre appréhension visuelle – optique – et de notre propre perception multi-sensorielle et intérieure (imaginaire). De la même façon que l'homme organise son image par le biais d'un langage et d'une culture, le paysage s'organise comme image où l'homme, en tant que sujet, réactive  et ressource son lien à la terre qui le porte.

De ce fait, le territoire renferme le social de l'être, d'une émotion, d'une sensibilité où le lieu n'existe pas sans la temporalité du sujet même.